18 avril 2012
« Toutes choses que je connais, au nom de cette raison qui nous éclaire encore pour un peu de temps, je les ai nommées. Cependant, la nuit de ce qui n’a pas de nom les déborde de toutes parts.
« Toutes choses que je connais, au nom de cette raison qui nous éclaire encore pour un peu de temps, je les ai nommées. Cependant, la nuit de ce qui n’a pas de nom les déborde de toutes parts.
Cette obscurité, je n’entends pas l’adorer, mais la reconnaître pour telle, savoir où elle commence et, de la sorte, mieux repérer les frontières de mon domaine.
À moi de combattre pied à pied l’envahissement des ténèbres, de repousser le plus loin possible mes limites – mais quelle folie de croire que je pourrai continuer à vivre et à lutter si, dès ce monde-ci, je ne fais pas la part de l’ombre ! »
Jean Tardieu, La part de l’ombre.
Il peut arriver, à l’un ou à l’autre d’entre nous, de part les hasards de la vie, d‘avoir à traverser un moment de grande et inquiétante étrangeté, un moment où l’on est amené, sans y avoir été préparé, à fréquenter une part de soi-même que l’on ne connaissait pas, que l’on ne reconnaît pas.
Nos petits bricolages internes, nos échafaudages psychiques, nos belles architectures dont l’élaboration fut longue, laborieuse, sont mis à mal, vacillent.
Quelque chose s’emballe en nous, quelque chose lâche. La part vaillante de nous-même semble ne pas s’en rendre compte.
Et pourtant, alors qu’elle s’affole, qu’elle ne tient plus les rênes, elle s’agite en tous sens, jusqu’à trouver une issue, une butée, une présence, une parole.
Alors on se retrouve les deux pieds dans la réalité, soulagé. Saisi, cependant, secoué, aussi. Saisi par ce que l'on découvre de soi-même, secoué d’avoir rencontré cette part d’ombre dont on ignorait l’existence. On se retrouve là, avec ces deux parts de soi-même. La part vaillante, celle dont on avait appris à connaître les fragilités, les forces, et cette autre part qui vient de nous arriver dans les bras, sans crier gare. Que faire de cette part de folie ?
On peut toujours essayer de la glisser dans nos sous-sols psychiques, mais elle risque fort de repointer le bout de son nez à la première occasion.
On peut aussi décider de l’accueillir, de la prendre sous le bras. Il faut lui parler avec douceur, la rassurer, rire avec elle de ce que nous sommes, de ce que nous sommes devenus depuis qu’elle est là. Un moment clivé, nous retrouvons une unité, au prix de cette adoption. Nous retrouvons l’humour, la vie, l’envie de poursuivre la route.
Ce faisant, si cette part d’ombre qui vient de nous jouer un bien vilain tour menace à nouveau de s’agiter, nous saurons peut-être en reconnaître les signes, lui dire deux mots, éviter une nouvelle dérive, ou éviter qu’une nouvelle dérive ne nous emmène jusqu’à cet ultime de ce que nous appellerons une folie ordinaire.